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Oeuvre du mois - Oscar Dominguez

© photo Ville de Liège

 

BOITE A SARDINES ET SAMOVAR CHEZ DOMINGUEZ


 

Oscar Dominguez (Oscar Manuel Dominguez Palazon, dit)
(San Cristobal de La Laguna, Ténériffe, 1906 – Paris, 1957)

« Nature morte », 1951
Huile sur toile
82 x 181 cm
Signé et daté 1951 en bas à gauche
Don de l’artiste à la Ville de Liège en 1952
Inv. BA.AMC.05b.1952.21294

 

L’année 2024 marque le centenaire de la parution en 1924 du « Manifeste du surréalisme » d’André Breton (1896-1966) ainsi que la naissance, autour de Paul Nougé (1895-1967) de l’activité surréaliste en Belgique. Les collections de La Boverie contiennent de nombreuses œuvres d’artistes surréalistes ou apparentés (Magritte, Delvaux, Mariën, Graverol, Stas…) qui ont été prêtées dans ce cadre pour deux importantes expositions à Bruxelles. Mais le musée en possède d’autres encore, et parmi elles, cette « Nature morte » de l’artiste espagnol Oscar Dominguez, originaire de Ténériffe où il est né en 1906. L’oeuvre fut offerte par l’artiste lui-même à la Ville de Liège en 1952, suite aux contacts qu’il avait pu avoir l’année précédente à Liège avec les organisateurs de la IIe  Exposition internationale d’art expérimental : la Société royale des Beaux-Arts, l’APIAW, et certains membres du groupe Cobra. Dominguez espérait l’organisation d’une exposition personnelle en Cité ardente, qui finalement se tiendra à Bruxelles en 1955, au Palais des Beaux-Arts.
 

La « Nature morte » de Dominguez répond entièrement aux aspiration du peintre – l’un des plus subversifs du mouvement surréaliste, qu’il rejoint en 1934 – par une méthode où il aime à surprendre, voire provoquer le spectateur. Rien de classique en effet dans cette peinture mi-abstraite, mi-figurative, où un trait ourlé dessine avec légèreté les éléments de la composition, où des aplats de couleurs vives présentent des éléments récurrents du travail de l’artiste. On y retrouve le motif des clés de boîtes à sardines, objet ô combien banal du quotidien méditerranéen, qui figurait déjà dans « L’Ouvre-boîte », une peinture surréaliste de Dominguez en 1936 (1). Plusieurs allusions à la pêche aux poissons viennent compléter le tableau.

Sur la gauche, une forme sensuelle et alanguie suggère un corps féminin entrouvert, à proximité d’un lampadaire bleuté vertical, qui illumine un piano. Des flûtes à champagne se combinent aux clés de boîtes à sardines, tandis que figurent en avant-plan, au centre et sur la droite, trois récipients distincts : un samovar, une cafetière, une théière. Les nuances de couleurs détachent individuellement chaque élément, mais l’ensemble réinvente de manière non conventionnelle le thème ancien de la nature morte. Chez Dominguez, loin d’évoquer la finitude des choses de la vie, l’œuvre donne au contraire les gages d’une réjouissance. Celle d’une fête colorée, où se conjuguent la musique, la boisson, la nourriture, et la rencontre des corps – peut-être aussi fortuite que celle d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection ? (2)

Les liens de Dominguez avec les artistes belges d’avant-garde ont été nombreux dès 1941, quand il rencontre le jeune poète Christian Dotremont, dans l’entourage de Picasso et du groupe surréaliste parisien « La Main à plume ». Dotremont et Dominguez se lient d’amitié, et il lui donne la même année une illustration pour son recueil « Noués comme une cravate ». Tous deux participent en 1945 à l’exposition « Surréalisme » organisée à Bruxelles par Magritte et Marcel Mariën. Dominguez adhère ensuite au groupe « Surréalisme-Révolutionnaire » de Noël Arnaud et Dotremont, qui s’oppose au surréalisme de Breton. Avec Dotremont encore, il expérimente des peintures-mots, sans toutefois rejoindre le mouvement Cobra. Très souvent à Bruxelles, notamment pour des raisons sentimentales, Dominguez expose à la galerie Apollo de Robert Delevoy en 1950, puis en 1951. En ces occasions, le soutien de Dotremont, par préface et article (3) lui reste acquis. D’un tempérament parfois violent, instable, passant par de profondes phases dépressives, cet homme qui affichait également un humour dévastateur finit par céder à ses humeurs noires. Quelques heures avant une visite de Dotremont, Oscar Dominguez se donne la mort dans son atelier parisien, le 31 décembre 1957. La Boverie rend aujourd’hui hommage à cet artiste majeur passé par le surréalisme.

 

Alain Delaunois
Attaché scientifique / La Boverie – Musée des Beaux-Arts

 

 

(1) « La Part du jeu et du rêve. Oscar Dominguez et le surréalisme 1906-1957 », catalogue de l’exposition au Musée Cantini de Marseille, p.103, Paris, Ed. Hazan, 2005.
(2) Alain Delaunois, « Oscar Dominguez », dans « Catalogue du Musée des Beaux-Arts de Liège », vol. 1, p. 276-277, Liège, 2016. 
(3) Christian Dotremont, « O. Dominguez, peintre espagnol », dans « Les Beaux-Arts », n° 485, Bruxelles, 10 mars 1950.