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Oeuvre du mois - Jacques OCHS, James Ensor

Le trait vif d’un regard aiguisé 

ILL. 1
Jacques Ochs 
(Nice, FR, 1883 – Liège, B, 1971)
James Ensor, s.d. 
Pastel couleur, encre noire, fusain sur papier
Papier : 23,4 x 21 cm – Support : 31,9 x 24,4 cm
Inv.BA.CED.23a.1967.24192 

ILL. 2  
Jacques Ochs  
Monsieur Isi Collin, homme de lettres et rédacteur au Soir et au Journal de Liège, s.d. 
Lavis, encre de Chine, gouache, rehauts blancs, rehauts couleur sur papier 
Papier : 22 x 11,5 cm - Support : 27,6 x 16,4 cm 
Inv. BA.CED.23a.1970.24478 

ILL. 3 
Jacques Ochs (Nice, FR, 1883 – Liège, B, 1971) 
Monsieur Simenon, s.d. 
Gouache, rehauts blancs, fusain, encre noire sur papier 
Papier : 18,4 x 16,8 cm - Support : 26,5 x 23 cm 
Inv.BA.CED.23a.1970.24485 

ILL. 4 
Jacques Ochs (Nice, FR, 1883 – Liège, B, 1971) 
Eugène Ysaye, s.d. 
Pastel blanc, fusain, pastel couleur, lavis, encre de Chine sur papier 
Papier : 14,1 x 14,6 cm - Support : 20,5 x 17,9 cm 
Inv.BA.CED.23a.1970.24493 


 

Un homme de profil nous observe du coin de l’œil. Cheveux blancs et barbe hirsute, l’artiste James Ensor nous éprouve du regard. Le tableau qu’il exécute est pour le moins étonnant, voire inquiétant. Devant lui, un cadre, peuplé de personnages masqués aux traits carnavalesques et d’un squelette au chapeau haute-forme. En arrière-plan, une sirène s’expose dans la mer sous un soleil franc. En bas à gauche, quatre lettres reconnaissables entre toutes : « OCHS », signature de Jacques Ochs. 
A la fois peintre, caricaturiste, affichiste, enseignant, Jacques Ochs est un citoyen engagé et un artiste aux multiples facettes ayant marqué de façon indélébile la vie culturelle liégeoise. 
Né à Nice en 1883, il a dix ans quand ses parents s’installent à Liège. Il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts avant de poursuivre sa formation à Paris. Il y copie notamment les œuvres de Rembrandt et Watteau au Louvre et fréquente l’Académie Julian, ainsi que des dessinateurs, dont Forain. L’art le passionne, tout comme le sport qu’il pratique à haut niveau (l’aviation, et l’escrime dont il est médaillé d’or olympique en 1912 et champion du monde en 1914). 
Son talent artistique s’exerce d’abord à travers ses dessins. Il publie en 1909 et 1910 Les remarqués I et  Les remarqués II qui rassemblent des croquis lithographiés de ses contemporains liégeois. Au début du 20e siècle, l’image prend une place de choix dans les journaux. Disposant d’un sens aigu de l’observation, il réalise des portraits et caricatures pour l’hebdomadaire belge Pourquoi Pas ? ou encore pour Le Petit parisien. Il réalise ses portraits devant modèle pour la plupart, et rarement d’après photographie. Son succès grandit et être l’objet de son trait incisif, mais toujours bienveillant, devient flatteur.
Le succès de ses dessins ne l’empêche pas de poursuivre sa pratique de la peinture. En 1921, il devient professeur de peinture à l’Académie des Beaux-Arts, avant d’être nommé à sa direction en 1934 et de prendre le rôle de conservateur du musée des Beaux-Arts.
Jacques Ochs va traverser deux guerres mondiales. La première en tant que militaire volontaire, la seconde comme prisonnier au camp de Breendonck. Durant ces années de captivité, il ne s’arrête pas de croquer ses compagnons d’armes prisonniers et ses bourreaux qui restent figés dans sa mémoire. En 1947, il sort un recueil de dessins, Breendonck. 
Le succès de l’œuvre de Jacques Ochs lui permet de participer à de nombreuses expositions. Il poursuit sa production prolifique de peintures et, dans les années 1950, entreprend le classement de ses croquis qu’il annote en les identifiant et les recolle sur des supports de papier épais. Atteint de troubles oculaires en 1965, il dépose ses crayons et ses pinceaux. Il décède en 1971. 
Le dessin présenté fait partie du fonds de dessins originaux de Jacques Ochs acquis par le Cabinet des Estampes et Dessins de la Ville de Liège, enrichi au fil du temps par des dons et achats. Cet ensemble remarquable répertorie pas moins de 894 croquis dont principalement des portraits-charges, communément appelés caricatures, qui ont servi de base pour les lithographies. Représentants politiques, de l’armée, de la presse, accusés, savants, professeurs, ingénieurs, écrivains, peintres, architectes, sculpteurs, musiciens… autant de personnalités, provenant de milieux divers et pour la majorité liégeoises, sont rassemblées dans cette galerie éclectique de portraits au fusain, crayon, feutre, encre de Chine, aquarelle et/ou pastel. L’attitude, l’expression, le physique et les attributs qui accompagnent ses personnages permettent de les identifier. 
Entouré de ses thèmes de prédilection, masques et squelettes, James Ensor (1860-1949) s’inscrit ici dans un décor familier, rappelant la côte ostendaise où l’artiste a grandi. Même la sirène pourrait faire écho à Vénus qu’il a déjà représentée. À travers son trait, nerveux, vif et précis, Ochs dresse le portrait du peintre dans un style qui lui est proche. Les jeux de précision et de flou apportés par l’utilisation du fusain et des pastels permettent au dessinateur de rendre une œuvre expressive, se rapprochant des tableaux expressionnistes du portraituré. Les couleurs élémentaires et franches utilisées – le rouge et le bleu – rappellent elles aussi les œuvres d’Ensor, notamment le tableau La mort et les masques datant de 1897, exposé dans les collections permanentes de La Boverie. 
L’histoire de ce tableau lie les deux artistes puisqu’en 1939, Jacques Ochs fait partie de la délégation liégeoise qui se rend à la vente de Lucerne et achète neuf œuvres considérées par le régime nazi comme étant de « l’art dégénéré », et aujourd’hui classées « Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles ». Parmi celles-ci figure le tableau de James Ensor. Outre leur pratique commune du dessin (portraits, croquis sur le vif) et de la peinture, les deux artistes, dotés d’un grand sens de l’observation, ont développé un regard critique sur la société de leur temps, l’un sarcastique, l’autre malicieux, qu’ils transcrivent dans leurs œuvres. 
Tout au long de sa vie, Jacques Ochs a été acteur, témoin et chroniqueur de son temps, figeant à jamais des personnalités sur papier, grâce à sa mémoire exceptionnelle, son esprit et son regard affutés. Il dresse des portraits « psychologiques », aujourd’hui source de documentation, toujours avec une juste précision et un trait d’humour à l’encre noire.

Laura Dombret
Attachée spécifique
Historienne de l’art